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Retour sur le workshop « Verre et interactivité, la matière en mouvement » avec Auguste Hazemann et Arnaud Kaba

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Du 30 septembre au 4 octobre, les élèves « Créateur Verrier », promotion 32, ont testé différentes manières de rendre leurs pièces en verre interactives. iels ont été accompagné·e·s par Auguste Hazemann (designer) et Arnaud Kaba (anthropologue). Avec l’appui de l’équipe du Cerfav , de nombreuses expérimentations ont pu être réalisées au FabLab. Les deux animateurs de l’atelier reviennent sur les objectifs de celui-ci et la démarche réflexive qui a permis aux élèves de prendre du recul sur leur démarche de création.
Vous pouvez en voir un compte-rendu vidéo en fin d’article.

Nolwenn Félix, créatrice verrière promotion 32, nous montre l’effet de la chaleur qui modifie la couleur du verre.

Pouvez-vous vous présenter et nous en dire plus sur vos champs de recherches et domaines d’action en lien avec l’interactivité autour du verre ?

Auguste Hazemann : Après un diplôme en design objet aux Arts décoratifs de Paris (ENSAD), j’ai créé et mené mon activité de designer et artiste durant 5 ans (https://www.auguste-hazemann.fr/). Je suis actuellement doctorant en design, art et humanités numériques, au sein du laboratoire DeScripto, qui se penche sur les écritures des imaginaires, à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France. Ma recherche est centrée sur le système relationnel entre humain et non-humain, ici les objets, leur sensorialité et leur technicité. J’interroge l’apport du numérique et de l’électronique comme médiums et potentiels interactifs. Ici, lesdites technologies du numérique s’écartent volontairement de l’approche solutionniste, c’est-à-dire qui tente de répondre à un problème, pour s’orienter vers une pratique du design mettant en exergue la place de l’humain dans son environnement technologique. Inspirés des comportements de la biodiversité, le dispositif et l’objet communiquent, parlent sans forcément s’adresser à l’humain. C’est au tour de ce dernier de trouver les connexions et les modes opératoires pour vivre et partager leur environnement.

Très tôt dans ma vie de designer, le verre m’a intéressé, notamment à travers une rencontre avec les verriers du Ciav, ce qui a donné naissance à l’une de mes créations, dont je suis le plus fier : Spiro. En m’inspirant des gestes du verrier, ici du premier souffle dans la canne qui percera la bulle de verre, j’ai créé cette lampe qui s’active par le souffle à l’aide de capteurs et du codage. C’est le geste, son importance fonctionnelle et symbolique au sein du verre, qui a fait l’objet. C’est ici que le numérique prend tout son intérêt : grâce à celui-ci j’ai pu intégrer le geste comme composante centrale de l’objet, c’est-à-dire le scénariser. Depuis, je gravite toujours autour du verre. J’ai moi-même appris à souffler le verre, au NID – une école de design en Inde.

J’ai entamé il y a quelques années un terrain d’études avec Arnaud Kaba, anthropologue des techniques, spécialisé dans le verre. Nous avons été surpris de constater que, malgré nos pratiques distinctes, nous avions fréquenté les mêmes endroits et connu les mêmes personnes, jusqu’en Inde. Depuis, nous entretenons un dialogue privilégié, au croisement du design, de l’art et des sciences sociales. Dans la création de mes objets, je pars davantage sur des recherches en sciences sociales qu’en technique ou usage. Cela me semble important pour bien déterminer les impacts et les intérêts de nos productions.

Arnaud Kaba : Je suis anthropologue, maître de conférences à l’université Paris 8 Vincennes-St Denis. Je suis spécialiste du travail et des techniques. En outre, j’ai commencé depuis 2019 un cycle de recherches sur les métiers verriers et leurs évolutions dans la globalisation contemporaine et partant de la monographie d’une ville verrière indienne, Firozabad, et en étudiant les rapports sociaux du travail, les transformations du métier, mais aussi le lien entre la ville et le marché global, depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours.

Une telle recherche permet de faire un contre-récit de la globalisation contemporaine par le bas, en se centrant sur ce que le capitalisme fait aux rapports sociaux chez des communautés absorbées par un métier qui avait par ailleurs des structures très définies avant son absorption dans le capitalisme globalisé.

J’ai lancé en 2021 un cycle parallèle, toujours sur le verre, en France, en étudiant la réindustrialisation et le développement contemporain d’artisanats du verre dans un contexte postindustriel. Cette recherche a donné lieu à trois publications. J’ai en particulier étudié le cas de Meisenthal et mes analyses sont en cours de publication dans un article sous presse. J’ai enfin réalisé une étude de terrain exploratoire avec Auguste Hazemann sur la question de la mémorisation du geste, notamment sur la moulothèque de Meisenthal et sur le projet [G]host du Cerfav.

Pouvez-vous nous dire en quoi consiste l’objectif principal du workshop « Verre et interactivité, la matière en mouvement » ?

Auguste Hazemann : L’objectif de cet atelier est de créer un objet hybride entre artisanat et numérique. Afin d’articuler avec pertinence la pratique artisanale et la pratique numérique, les créateurs et créatrices sont invités à développer une réflexion sur leur pratique créative en mobilisant les sciences humaines des techniques (anthropologie, histoire, et philosophie). Et ce, grâce à l’initiation à ce type de questionnements via les premières interventions dans le workshop. Le but est d’acquérir des méthodes réflexives sur leur propre création et se situer au sein d’une communauté de pratiques. De plus, ils et elles sont introduits à l’électronique et à la programmation, afin de développer un langage propre à l’interactivité, et questionner ce que ces technologies peuvent apporter à une pratique artisanale, et à la réception de l’objet par le public.

La difficulté de ce workshop est de ne pas tomber dans le piège de la superposition entre objet artisanal et fonction technologique, comme le serait l’intégration d’une enceinte Bluetooth dans un écrin de verre par exemple. Ici, l’écrin serait interchangeable avec un autre, en plastique ou en bois. Il faut que l’interaction proposée soit une création en soi, indissociable de l’objet et de l’intention de son créateur. Cette quête de sens doit passer par une réflexivité. À l’issue de ce workshop, en plus d’une maquette fonctionnelle de leurs créations, ils et elles doivent rendre compte de cette recherche et production à travers une exposition et un oral décrivant les intentions, le processus et la réflexivité.

Arnaud Kaba : C’est ici qu’entre en jeu l’anthropologie des techniques. L’objectif est alors de conscientiser les étudiant.e.s sur les dimensions sociales et symboliques du faire afin qu’iels prennent mesure des implications profondes de leur démarche créatrice.

Implication par rapport à la matière, tout d’abord. Le verre, comme toute matière, n’est pas neutre. Il s’agit de l’un des premiers matériaux de thèse, donc il est lié depuis le départ aux techniques et aux compositions chimiques qui permettent de le fabriquer : des procédés socialisés, donc. Parce que la fabrication de verre nécessitait beaucoup de bois et une source de soude ou de potasse (par exemple des fougères à brûler pour extraire la potasse des cendres comme en Lorraine), le verre est lié à un territoire, qui présente certaines ressources nécessaires au maintien de l’activité. Ce sont les forêts de Lorraine, riches en sapins et fougères. Pourquoi le choix du verre ? Que dit la matière du territoire qui en a porté la fabrication, de son environnement ? Comment faire dire à la matière son lien avec la forêt, avec les vallées, avec le bois qui servait à la mettre en fusion ? Quel lien entre la création et le patrimoine qui la porte.

Ensuite, qui dit patrimoine verrier réfère à l’établissement d’une certaine culture du métier, à une intentionnalité territorialisée de le patrimonialiser, de le valoriser, de le reproduire : une conscience de métier. Faire le choix d’une création verrière, c’est se placer dans une continuité, dans l’héritage d’une certaine vision des savoir-faire et des modalités de leur transmission, de certains rapports sociaux, sur le sol de l’atelier, entre hommes et femmes du métier et les consommateurs. Comment questionner ces rapports et leur évolution par le sens que l’on met dans la création verrière ? Comment l’objet peut-il questionner, éprouver, défier, renouveler, ces codes sociaux de la verrerie semblant parfois figés ? Dans le contexte d’un atelier où l’hybridation entre verre et électronique tient une place centrale, cette question de la transformation et des évolutions est cruciale, tant l’outil électronique ouvre des possibilités foisonnantes en termes d’interactivité, d’explorations irrévérencieuses, de remises en jeu des codes esthétiques classiques rattachés à la pratique verrière.

L’objectif de la partie réflexive du workshop est ainsi de faire en sorte que les étudiant·e·s se posent ces questions, les conscientisent, trouvent leurs réponses ainsi que des techniques simples pour exprimer clairement leurs choix et justifier leur démarche. Un tel apprentissage est essentiel pour les aider à développer un discours argumenté sur les enjeux sociaux et philosophiques que recoupe leur pratique créative.

Quel intérêt pour le créateur verrier de mettre en mouvement sa matière ?

Auguste Hazmann : Un des intérêts de ce workshop est de problématiser la notion de mouvement. De fait, dans la pratique du verre, la matière est en mouvement. Ce qui signifie que le travail du verre n’est pas un savoir-faire figé, à l’image de la matière elle-même. Lorsque le verrier travaille sa matière, il est bien obligé de prendre en compte la réalité plastique de celle-ci, de devoir « danser » avec. Et de la même manière que chaque génération invente sa propre danse, chaque génération invente sa manière de donner un corps à la matière. Il me semble donc important pour un créateur, afin de « mettre en mouvement », qui, comme nous l’avons vu, est à la source de son savoir-faire, d’interroger cette notion même de mouvement qui traverse tous les pans de son métier.

Aujourd’hui, les technologies du numérique transforment en profondeur les objets et nos relations avec eux. L’art verrier est déjà traversé par les technologies du numérique, que ce soit par la conception assistée par ordinateur, ou les outils de production numérique. Ce qui ne va pas sans stress pour les créateurs qui peuvent se sentir éloignés de leur matière, voire dépossédés de leur technique. En témoigne la collection « Impossibles vases » de Lalique, vases numériques qui sont pourtant d’une grande valeur marchande. Quel sens prend le métier d’artisan verrier, lorsque l’objet devient partiellement ou purement numérique ? Qu’en pensent les créateurs verrier en formation ?

L’atelier permet d’exprimer les ressentis, les expériences et de faire émerger des réflexions créatives et émancipatrices vis-à-vis du numérique par l’appropriation de celui-ci.

Ainsi, si l’on ne veut pas subir ces transformations et être dépassés par ces dernières, il faut se les approprier, et les inclure dans le mouvement plus large de la création verrière. En d’autres termes, que le verrier ne soit pas supplanté par l’ingénieur, mais qu’il développe sa propre pratique des technologies afin qu’elles soient une source de richesse.

L’objet, porté par chaque génération, s’hybride en permanence entre un héritage et une modernité, c’est un mouvement continu. Le métier est bouleversé par la modernité numérique. Donc, au vu du potentiel créatif qu’offrent l’électronique et le numérique, il paraît indispensable de se les approprier, en tant que créateur.

Comment fait-on pour rendre un objet inanimé interactif ? Y a-t-il des astuces, des manières de faire, de se mettre à distance induites par les dispositifs numériques ?

Auguste Hazemann : Il faut admettre qu’un objet, bien qu’inanimé, n’est pas inactif pour autant. Bruno Latour, par exemple, définit l’objet comme un « agent ». Il est tout aussi intégré et actif au sein de la société que l’humain. L’objet est un être social, qui relie les personnes, mais aussi qui contraint ou, à l’inverse, ouvre nos capacités d’action. Donc ce n’est pas seulement nous qui agissons sur lui. Il agit aussi sur nous. Dès lors, il y a toujours une interaction avec l’objet.

Ceci étant admis, l’interactivité, c’est-à-dire donner un « comportement » à l’objet par le truchement du numérique, prend une valeur singulière. Il s’agit d’incarner cette dimension active en tant qu’agent, en lui donnant « corps ». Pour cela, je donnerais quatre astuces :

  • Apprécier les objets comme des contenants encyclopédiques et poétiques. Ils contiennent des histoires humaines et des histoires à venir, d’où l’importance de se pencher sur les sciences humaines et de les croiser avec les sciences techniques. Un verre à pied est tout à la fois un outil à boire, la trace de nos savoir-faire techniques, un témoin de nos us et coutumes, et enfin un potentiel de mise en relation avec le monde, comme créer du lien social autour d’une boisson.
  • Se laisser à une interprétation poétique, presque animiste de l’objet. Accepter qu’ils font partie de notre environnement, et en ce sens participent au vivant, sans dire qu’ils sont en vie, mais qu’ils participent à la mise en mouvement du monde. Prendre soin de notre environnement, c’est aussi prendre soin des choses, et donc imaginer des formes de relation qui ne soient pas uniquement de servitude vis-à-vis de l’objet.
  • Garder une grande distance induite par les dispositifs numériques. Ne pas se laisser happer par la fascination envers les technologies. Elles ne sont que des outils, et devraient être perçues comme telles. Il faut donc les reléguer au même niveau que nos autres outils, ciseaux, marteaux, tournevis, etc. Apprendre à les utiliser afin de réaliser des choses, d’ouvrir de nouvelles possibilités, mais sans excès. Je parle assez peu de « technologie », au profit de « technique », car la première sans la seconde (la technologie sans technique) est un asservissement.
  • Et comme avec tous les outils, il est nécessaire de les expérimenter, faire ses gammes avec des mini créations, afin de maîtriser la technique et de trouver son « style » dans la pratique. Je n’apprendrai rien de cette manière d’apprendre par le faire à un artisan, mais c’est ici tout à fait la même chose avec le numérique. C’est en le pratiquant que l’on finit par penser avec.

À partir de ces points invitant à une lecture humaniste, une perception écopoétique, et enfin l’acquisition d’une technique numérique, nous pouvons commencer à isoler un propos fort qui tienne de la dimension sensible. On pourra donner forme à ce propos grâce à des mises en relation avec des capteurs. Il ne faut pas perdre de vue que les propos forts sont souvent les plus simples. S’ils sont parfois difficiles à exprimer avec des mots, ils le sont plus facilement avec des dispositifs. La force d’un objet interactif réside ainsi dans sa capacité à créer du sens.


Nous vous proposons d’apprécier le résultat du workshop en vidéo avec les élèves « Créateur Verrier » promotion 32 :

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