Par Anne Pluymaekers, historienne de l’art et responsable du pôle culture du Cerfav
La pièce d’Aline Thibault exposée au TEM à Goviller en 2024.
Comment se construit la relation entre l’œuvre et l’espace qui l’accueille, la lumière qui le donnera à voir ? Quel en sera la perception ou l’émotion du regardeur ?
Les études actuelles autour de la notion de « translocation patrimoniale », terme proposé par l’historienne de l’art Bénédicte Savoy pour questionner les œuvres d’art en exil, font la démonstration de l’importance du rapport entre l’œuvre et le lieu où elle est physiquement présentée, qu’il soit naturel ou forcé. À l’heure d’Internet et d’Instagram, la qualité de la monstration est devenue un enjeu crucial. Les coefficients lumière, cadre et contexte sont primordiaux pour la réception de l’œuvre, sans quoi, elle risque de passer sous silence.
Depuis 2015, l’installation artistique d’Aline Thibault, « Au fil de », projet de diplôme créateur verrier au Cerfav, a été plébiscitée et présentée par de nombreuses institutions. Elle associe une machine à coudre ancienne, outil conçu pour aider à la réalisation d’un travail manuel, à un vitrail, dont les origines en font, dans l’imaginaire collectif, un art dédié au sacré. Le vitrail composé de trois panneaux et long de deux mètres est suspendu et donne l’impression d’avoir la souplesse d’un textile. Ce vitrail « tissé » semble émaner de la machine à coudre. Les motifs chantournés de sa pédale ont contaminé le vitrail. De subtiles nuances de verres bleus mêlées à de l’incolore s’accentuent vers le firmament.
À chaque fois, la pièce exposée dans un contexte différent lui a donné sens et l’a magnifiée autrement. Retraçons son « parcours ».
Au terme de la formation, l’œuvre a pris place au sein du nouvel espace d’exposition temporaire de la galerie|atelier du Cerfav à Vannes-le-Châtel. Dans ce vaste espace contemporain de 100m2, en majeure partie vitré et haut de plafond, « Au fil de » est alors baigné de lumière naturelle. L’occasion s’est présentée de donner l’opportunité au visiteur d’en faire le tour et de l’apprécier sous toutes ses facettes, ce sera rarement le cas par la suite.
Quelques mois plus tard, la pièce est sélectionnée pour la Biennale du verre de Strasbourg. Elle est installée dans un espace latéral du passage public du barrage Vauban. Devant une fenêtre de ce bâtiment du dix-septième siècle, le contre-jour et l’éclairage artificiel ont révélé les courbes et les transparences des verres.
En 2017, l’œuvre est de retour à Strasbourg, cette fois à la Maison de la région Grand Est. La façade entièrement vitrée de la galerie d’exposition faisant fonction de vitrine, elle permit d’apprécier la pièce à l’extérieur comme à l’intérieur. Elle a interpellé les curieux à leur arrivée et les a incités à pénétrer dans le lieu.
C’est dans le cadre du monumental escalier du dix-huitième siècle du Grand hôtel de la Reine à Nancy que prend ses quartiers « Au fil de » en 2019. Le directeur de l’hôtel, au fait de l’innovation créative en constante ébullition au Cerfav, a « flashé » sur l’œuvre, l’imaginant instantanément dans son prestigieux hôtel. In situ, un dialogue s’est harmonieusement instauré entre les fers forgés de la rampe et des lignes sinueuses du réseau de plomb du vitrail. Ce premier partenariat a marqué le début d’une valorisation des créations des élèves qui se poursuit encore actuellement, avec un renouvellement annuel des pièces.
Pour fêter et illustrer les trente années d’existence du Cerfav au Musée des Beaux-Arts de Nancy, « Au fil de », à l’unanimité, a figuré en entrée du parcours d’exposition. Les visiteurs ont pu pour la première fois apprécier le vitrail devant une paroi. L’éclairage uniquement frontal a procuré de belles projections de couleurs au mur.
Après sa visite de l’exposition anniversaire, Eléonore Peretti, directrice du Musverre à Sars-Poteries, l’a demandée en prêt pour l’exposition « Sur le fil ». Cela faisait sens. Présentée en préambule de l’expo, devant l’immense verrière du musée avec en arrière-plan le bocage avesnois, l’œuvre donne une nouvelle perception. Cette fois, elle prend part au discours de l’exposition, soit « faire se rencontrer verre et textile, deux matériaux qui ont une résonance particulière dans les Hauts-de-France ». Le projet de diplôme de Julie Decriem « Tricoter le verre » y figurait également.
Photo : Musverre
Cette année, l’œuvre prend ses quartiers à Goviller, à la galerie TEM (trace et mouvement, espace d’art contemporain). Cette ancienne ferme lorraine fait la part belle à l’art contemporain depuis 1992. La tablette en chêne de la machine à coudre se conjugue pour la première fois avec un contexte boisé de poutrelles et de lambris. Un éclairagiste de spectacles a travaillé les ombres portées comme jamais, procurant une impression inédite.
Puisse cette œuvre encore connaître de nouveaux écrins, faire connaître encore et encore le travail d’Aline Thibault, la place du vitrail dans l’art contemporain et par conséquent, de valoriser les formations du Cerfav ainsi que l’intérêt patrimonial de ses collections.
N.B. : En visionnant les photos, vous aurez remarqué que selon les hauteurs de plafond, l’installation a été exposée parfois avec deux panneaux de vitrail et non trois.
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